Abandon scolaire au primaire au Bénin : un frein majeur au développement humain

Au Bénin, près d’un enfant sur sept quitte l’école primaire avant la fin du cycle de la primaire. Le décrochage scolaire constitue un enjeu public majeur qui affecte l’ensemble des régions du pays, avec toutefois des impacts plus marqués dans certains quartiers, villages et villes du Nord.

Derrière ces chiffres se dessinent des trajectoires de vie marquées par des réalités complexes. Entre contraintes économiques, insuffisance d’infrastructures et pressions sociales, c’est autant de facteurs silencieux qui, jour après jour, fragilisent l’égalité des chances.

Le développement socio-économique d’une nation repose largement sur la qualité de son capital humain. L’éducation demeure un pilier stratégique pour bâtir des sociétés compétitives et résilientes. Au Bénin, ce secteur est à la fois un moteur de progrès et un défi permanent d’action publique pour garantir l’accès universel et améliorer la qualité des apprentissages. Les politiques publiques, les initiatives communautaires et les programmes de développement international contribuent à renforcer la performance du système éducatif et à réduire les disparités régionales. 

Dans cette dynamique d’innovation pédagogique nationale, un défi persiste : l’abandon scolaire au primaire. Un phénomène qui prive chaque année des milliers d’enfants béninois d’une scolarité complète. Le décrochage scolaire frappe plus durement certaines régions et compromet les efforts vers une éducation universelle de qualité. Les données récentes de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie [1] (INStaD, 2023) permettent de mieux comprendre cette réalité. Elles suivent l’évolution de la scolarisation et des abandons scolaires chez les enfants de 6 à 11 ans, dans les 12 départements du pays. La tendance générale montre que malgré des progrès notables en matière d’accès à l’école, de profondes disparités subsistent : le sud affiche des taux d’abandon faibles, tandis que le nord reste plus exposé au risque de décrochage scolaire. 

Quels sont les taux d’abandon au primaire au Bénin en 2022-2023 ? 

Les départements du Nord concentrent les taux d’abandon scolaire les plus préoccupants en 2022-2023. La Donga au nord-ouest du pays enregistre un taux d’abandon de 25,1 %, suivie de près par les départements de l’Atacora (nord-ouest) avec 22,3 % et l’Alibori au nord-est avec 16,6 % (INStaD, 2022). À l’opposé, deux départements du Sud affichent des niveaux nettement inférieurs. Le département du Littoral limite son taux d’abandon scolaire au primaire à 8,1 %, et l’Atlantique à 9,2 % (INStaD, 2022).

Cette fracture géographique s’explique par plusieurs facteurs combinés :

  • Accès aux infrastructures : dans l’Atacora, 40 % des écoles primaires ne disposent pas de point d’eau, contre seulement 5 % dans le Littoral (MEMP, 2023).
  • Pression économique : près de 70 % des enfants déscolarisés dans la Donga travaillent dans les champs familiaux ou participent aux activités économiques domestiques, ce qui réduit leur présence régulière à l’école [2] (MICS, 2022).
  • Éloignement et mobilité des familles : dans certaines communes de l’Alibori, les déplacements saisonniers des ménages pour les activités agricoles entraînent des ruptures fréquentes de scolarité (UNICEF Bénin, 2024).

Ces facteurs combinés créent un cercle vicieux où les contraintes matérielles et économiques favorisent l’abandon scolaire dès le cycle primaire, compromettant les chances de réussite éducative à long terme.

Quelles solutions pour réduire l’abandon scolaire au primaire au Bénin ?

Réduire significativement l’abandon scolaire au primaire au Bénin n’est pas un rêve lointain. Des pays africains comme occidentaux ayant connu des défis similaires ont réussi à inverser la tendance en quelques années grâce à des actions ciblées et coordonnées. Trois pistes se dégagent comme particulièrement adaptées au contexte béninois.

La première est l’instauration de bourses conditionnelles pour les familles vulnérables. Ce mécanisme a fait ses preuves au Mexique avec le programme Progresa/Oportunidades [3] et au Brésil avec le programme Bolsa Família [4], qui verse une allocation aux foyers pauvres à condition que les enfants maintiennent au moins 85 % de présence scolaire. Au Mexique, la scolarisation a progressé de 11 % dans les zones ciblées (Skoufias & Parker, 2001), et au Brésil, le programme a contribué à une baisse notable du décrochage dans les zones rurales (Banque Mondiale, 2013). Une adaptation locale pourrait compenser la perte de revenus due à la scolarisation dans les ménages et inciter les familles à maintenir les enfants à l’école.

La deuxième piste est le suivi scolaire communautaire structuré. En Ouganda, l’initiative School Management Committees Strengthening [5] a formé et responsabilisé les comités scolaires locaux pour contrôler la présence des élèves et échanger directement avec les familles en cas d’absences prolongées. Pour résultat, une baisse de l’absentéisme de 27 % dans les districts ciblés (World Bank, 2017). 

Enfin, la troisième piste repose sur l’amélioration des cantines scolaires déjà présentes au Bénin. Au lieu de se limiter à un repas chaud, certaines expériences ailleurs, notamment au Brésil, ont intégré des produits locaux issus de l’agriculture communautaire et un programme éducatif sur la nutrition. Cela a conduit à réduire les coûts, stimule l’économie locale et fidélise davantage les enfants à l’école. Au Brésil, via le Programa Nacional de Alimentação Escolar [6], exigent que 30 % des aliments des cantines soient achetés directement auprès des producteurs locaux (FAO, 2014). Une telle approche au contexte local pourrait renforcer l’impact des cantines sur la rétention scolaire.

Ces trois leviers, soutien financier ciblé, mobilisation des communautés et amélioration des cantines scolaires déjà existantes, agiraient ensemble sur les causes économiques, sociales et scolaires de l’abandon au primaire au Bénin. Mis en œuvre dès maintenant, ils pourraient faire reculer durablement le phénomène et offrir à chaque enfant béninois la chance d’achever avec brio son cycle primaire.

Vers quelle trajectoire l’abandon scolaire au primaire évoluera-t-il au Bénin d’ici 2030 ?

L’avenir de l’abandon scolaire au primaire au Bénin dépendra largement des décisions et des politiques mises en œuvre dès aujourd’hui. À partir de la situation actuelle et des trois pistes d’action proposées, trois trajectoires possibles se dessinent d’ici à 2030.   

Scénario optimiste : « Le cercle vertueux », une réduction significative du phénomène 

Si le Bénin renforce son budget éducation (passant de 22% aujourd’hui à 30% du budget national), adopte les bourses conditionnelles à grande échelle, rendent pleinement opérationnels les comités scolaires locaux et, renforce les cantines scolaires avec des produits locaux, le taux national d’abandon au primaire pourrait passer d’environ 15 % aujourd’hui à moins de 5 % en 2030. Les écarts Nord-Sud s’atténueraient, avec une amélioration notable dans les départements les plus touchés comme la Donga et l’Atacora passant de 25% à moins de 12%

Ce scénario suppose un engagement budgétaire conséquent, un suivi rigoureux et une mobilisation coordonnée de l’État, des collectivités locales et des partenaires techniques et financiers.

Scénario alternatif : « L’innovation frugale », des progrès inégaux

Dans ce scénario intermédiaire, certaines mesures seraient mises en place de façon partielle ou localisée. Par exemple, des bourses conditionnelles testées dans quelques départements pilotes et une amélioration limitée des cantines. Les taux d’abandon baisseraient modérément au niveau national autour de 10-12 % en 2030, mais les écarts Nord-Sud resteraient marqués. Ce scénario reflète une progression réelle, mais freinée par un manque de couverture nationale et par des ressources limitées. 

Scénario pessimiste : « La stagnation », une aggravation des inégalités

En l’absence de mesures nouvelles, et si les défis actuels (pauvreté, éloignement des écoles, pressions économiques sur les familles) s’intensifient, avec une insuffisance de financements et une désorganisation notoire des programmes, le taux d’abandon pourrait dépasser 20 % d’ici 2030, avec des pics supérieurs à 30 % dans certaines zones rurales du Nord. Les cantines actuelles pourraient voir leur couverture diminuer faute de financement, et les disparités régionales se creuseraient encore. Ce scénario met en lumière les conséquences directes de l’inaction sur le long terme.

En définitive, la trajectoire que prendra le Bénin dépendra du degré d’ambition et de cohérence des actions menées. Les expériences réussies, au niveau national comme à l’international, montrent que des résultats sont possibles lorsque la volonté politique s’accompagne de moyens adaptés et d’une mobilisation collective.

Références :

[1] Institut National de la Statistique et de la Démographie (INStaD). (2022).
Annuaire statistique 2022.

[2] Institut National de la Statistique et de la Démographie (INStaD). (2022).
Rapport d’analyse de l’enquête MICS Bénin.

[3]     Skoufias, E., & Parker, S. W. (2001). Conditional cash transfers and their impact on child work and schooling: Evidence from the PROGRESA program in Mexico. Economía, 2(1), 45-96.

[4] Apolitical. (2023). Le Brésil soulève des millions de pauvres.

[5] United Nations Girls’ Education Initiative (UNGEI). (2020). Guidelines for formation and management strengthening of school clubs in Uganda.

[6] Food and Agriculture Organization (FAO). (2014). Programme National d’Alimentation Scolaire du Brésil : Une étude de cas.

Par Malick BOUKARY | Analyste en innovation sociale à Africitizen